La liturgie:des règles et du jeu

La liturgie : des règles et du jeu

Qu’est-ce que la liturgie ?

Telle une partition livrée à l’interprétation et au talent des musiciens , elle répond à des règles précises , en s’exprimant dans sa propre tonalité . Animée par la foi , elle dit la présence du Ressuscité et transmet sa Parole .

Alors , l’Esprit suscite des initiatives , développe la créativité et le génie des peuples . Tel un vêtement , sans trop serrer , la liturgie s’ajuste avec souplesse et se déploie avec aisance dans son cadre : gardienne de la tradition reçue , porteuse du sens des rites , elle invite à une expérience toujours renouvelée et ne peut se figer dans des règles trop contraignantes .

Vatican II lui a ainsi communiqué un nouveau souffle , invitant les chrétiens à redécouvrir la Parole : la liturgie se fait pédagogie et catéchèse , matrice de la foi et de la vie chrétienne .

Entre « règles » et « jeu » , la liturgie est source de vie , puisqu’elle célèbre celui qui est à jamais vivant .

La liturgie , c’est tout un art …..

Qu’est-ce que la liturgie ? Quel est son rôle pour l’Eglise ? Est-elle imposée et obligatoire , ou plutôt libre , gratuite , ornementale , superflue ?

Nous la connaissons mal , alors qu’elle est « épiphanique » : elle donne à voir le mystère .

Sujet sensible , pivot de la vie de nos communautés chrétiennes , la liturgie est mal connue : souvent objet de vives discussions ou même de tensions entre défenseurs de la tradition et pionniers de la créativité , elle demande à être redécouverte en son esprit et vécue en toute sa richesse .

Une « œuvre »

Le terme « liturgie » vient de deux mots grecs , « peuple » et « action » . Elle peut donc se comprendre comme action ou œuvre du peuple , acte ou service du peuple , service public . Lorsque saint Benoît , au V°siècle , dans sa Règle , parle de l’ »Opus Dei » , il désigne l’Office divin qui rythme la journée des moines . Une « liturgie » qui s’entend aussi bien du don que Dieu fait à son Eglise que de l’acte de l’Eglise pour son Dieu : la liturgie , enracinée dans l’histoire du salut , célèbre toujours l’alliance que Dieu a bien voulu sceller avec l’humanité . Elle répond à l’initiative de Dieu , elle est action de grâce qui monte vers le Père de toutes grâces .

Comme tous les mots français se terminant par le suffixe « urgie » ( que l’on pense à chirurgie , métallurgie …) , à la différence de ceux en « logie » ( de « logos » , la parole : ainsi , la psychologie ) , la liturgie est d’ordre pratique , concret , actif : elle se fait , elle se vit . Elle sollicite l’homme tout entier , elle fait appel à tous les sens et , par les symboles mis en œuvre , invite à l’expérience du Mystère .

« L’art de célébrer »

La liturgie relève de l’ »art » , du savoir-faire : étymologiquement , le mot « art » sous-entend une mise en ordre des choses , si bien que la liturgie , ou « art de célébrer » , va consister en une juste mise en ordre des paroles , des gestes , des déplacements , etc … , pour que s’accomplisse l’échange entre Dieu et son peuple . C’est moins une question de lois à respecter qu’une cohérence à chercher entre ce qui est dit et ce qui est fait , en favorisant la « noble simplicité » demandée par le Concile ( Constitution Sacrosanctum Concilium , §34 ) . Les rites n’ont pas besoin d’explications superflues , ils parlent par eux-mêmes . La beauté , le silence , la dignité des gestes font plus qu’une accumulation de paroles rendant inaudible la parole de Dieu .

L’art de célébrer , c’est l’art de donner le goût de Dieu , de faire connaître son amour qui se donne et de lui en rendre grâce dans l’allégresse . Dieu , dans la liturgie , sanctifie son peuple . Et ce peuple , rassemblé par le culte , fait monter vers Dieu sa louange , son chant de gloire et sa prière pour le monde . On devine alors les éléments essentiels de la liturgie : elle redit l’histoire du salut , que la Parole proclame à chaque rassemblement du peuple ; elle en célèbre le mémorial par la médiation de l’Eglise qui poursuit l’œuvre de salut ; elle manifeste au monde l’aujourd’hui du salut , en proclamant l’espérance . C’est pourquoi la liturgie est à la fois « tradition » et « nouveauté » , héritage à habiter et actualité à vivre : il s’agit , à l’instar de saint Paul , de transmettre ce que nous avons reçu ( 1 Co 11,23 ) .

Une initiation …

La liturgie n’a pas d’efficacité d’ordre économique , de rentabilité mesurable , de productivité . D’ordre rituel et symbolique , elle a pourtant une efficacité certaine , que nous connaissons mieux aujourd’hui . La liturgie est de l’ordre d’une expérience à vivre : elle est « efficace » dans la mesure où elle fait vivre quelque chose , où elle donne à vivre la rencontre avec Dieu . Et dans ce cas , elle peut bouleverser une vie !

Si la mise en œuvre a été soignée , si chacun s’y sent bien , la liturgie se fait initiation : elle permet d’ »entrer dans » , d’être introduit dans le mystère célébré , de goûter au mystère de Dieu-Amour . La liturgie et ses symboles le font mieux que tous les mots . L’expérience vécue surpasse toutes les explications , parce qu’elle manifeste vraiment la réalité célébrée : le Royaume est « déjà là » .

Initiatique , la liturgie devient pédagogique : on peut en faire une catéchèse ou une reprise mystagogique , reparler du bonheur de cette expérience vécue en Eglise et aider à y reconnaître le visage du Dieu des chrétiens .

Les grandes intuitions du Concile

Il y a cinquante ans , le premier texte promulgué par le concile Vatican II a été la Constitution sur la liturgie . Un trésor , qui dit bien plus que des règles pratiques : c’est du sens de la liturgie qu’il s’agit , de sa dignité , de sa fécondité .

Qu’ont voulu faire les Pères du Concile ? Changer la messe , ou renier la Tradition ? La liturgie fait partie de la vie et e la mission de l’Eglise , et la constitution Sacrosanctum Concilium se comprend en lien avec tout le projet de Vatican II , que la pape Jean XXVIII résumait sous le terme d’ »aggiornamento » : dans leur souci de « mise à jour » , les pères conciliaires visaient surtout une meilleure appropriation de la liturgie par les chrétiens , pour qu’ils s’y abreuvent comme à une source .

Célébrer le mystère pascal

« Célébrer » , c’est « rendre célèbre » , faire connaître , faire savoir : en l’occurrence , les chrétiens célèbrent le Christ ressuscité , la joie de leur salut en celui qui a donné sa vie par amour pour tous les hommes . C’est ce qu’affirme le Concile en expliquant que la liturgie , dans laquelle « s’exerce l’œuvre de notre rédemption » , « contribue au plus haut point à ce que les fidèles , par leur vie , expriment et manifestent aux autres le mystère du Christ et la nature authentique de la véritable Eglise » (Sacrosanctum Concilium , §2 ) . L’œuvre de la rédemption des hommes et de la parfaite glorification de Dieu a été accomplie par le Christ Seigneur , « par le mystère pascal de sa bienheureuse passion , de sa résurrection du séjour des morts et de sa glorieuse ascension » ( §5 ) . Le mystère pascal est au cœur de la liturgie .

L’Eglise célèbre , dans la foi , le mémorial de la pâque du Christ , nouvelle et définitive . « Nous proclamons ta mort , Seigneur Jésus » : en écoutant la Parole , l’Eglise se reçoit comme peuple des sauvés . « Nous célébrons ta résurrection » : à la fraction du pain , les chrétiens rassemblés reconnaissent le Vivant . « Nous attendons ta venue dans la gloire » : le Seigneur nous l’a promis .

La liturgie nous donne un « avant-goût du ciel » ( §8 ) et stimule notre marche vers notre véritable patrie .

Le Christ , présent dans sa parole

« Dans la célébration de la liturgie , la Sainte Ecriture a une importance extrême » (§24 ) : Vatican II a redonné aux chrétiens catholiques le goût de la parole d Dieu . Le synode des évêques , en 2008 , a témoigné de « la grande impulsion que la constitution dogmatique Dei Verbuma donnée à la redécouverte de la parole de Dieu » ( Benoît XVI , Verbum Domini , §3 )

nous sommes aujourd’hui beaucoup plus familiers de la Bible : partage d’Evangile , groupes bibliques , lectio divina . Et nous savons l’importance de « la liturgie de la parole » : ne parle-t-on pas de « sacramentalité de la Parole » , « par analogie à la présence réelle du Christ sous les espèces du pain et du vin consacrés » ( Verbum Domini , §56 ) ? Le Christ est présent à son Eglise lorsque la Parole est proclamée (Sacrosanctum Concilium , §7 ) , et cette affirmation théologique commande toute la mise en œuvre de la liturgie pour qu’elle soit au service de la rencontre entre le Seigneur et son peuple rassemblé .

Une participation active

Parler de « mise en œuvre » , c’est toucher à l’épineuse question du style de la liturgie et du rôle de chacun . Au début du XX°siècle , le pape Pie X constatait que les chrétiens assistaient à la messe en « spectateurs étrangers et muets » , alors que le mystère célébré les concernait tous ! En renouvelant sa compréhension de l’Eglise , en recommandant un juste équilibre entre « la saine tradition » et « un progrès légitime » (Sacrosanctum Concilium , §23 ) , en encourageant une « révision des livres liturgiques » prenant en compte les cultures , Vatican II a répété son souhait de la « participation pleine , consciente et active » de tous les fidèles à la liturgie ( ibid.§14,§30,§48 ) . Mais cette « participation » n’est pas activisme , recherche du « faire » . Elle signifie l’adhésion au mystère célébré , adhésion qui s’exprime par la qualité de la tenue , des gestes , du silence , par la beauté du chant et des répons , par la joie des cœurs . « Participer » , c’est d’abord être là , de tout son être , et dire son amour à celui que nous venons écouter , rencontrer .